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Mémoire de microscope

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C'était au temps des dinosaures...

Début des années 80, à peine brevetée de l'Ecole Royale de Protection Civile, je me suis retrouvée avec une classe à instruire, tous des volontaires comme moi.

Après mon deuxième brevet NBC, en même temps que les galons de Chef de Peloton adjoint, j'ai reçu tout un tas de fardes noires. C'étaient des plans de secours concernant la province de Namur. Il y en avait une qui contenait les cartes des réseaux de pipelines de la province avec tous les renseignements utiles sur le diamètre des tuyauteries et leur contenu.. Ces plans étaient régulièrement mis à jour par le bureau provincial de la Protection Civile. Une autre farde s'intitule : "Pipelines - Plan d'organisation des Secours" L'introduction est signée par le Gouverneur de la province, E. Lacroix. Ces documents portent le numéro 043.4 et datent de 81 à 83.

De ce plan de secours, il ressort que le service 900 (actuellement le 100) avait pour mission de "mettre en œuvre le plan d'alerte concerné" : soit il y a doute, soit il y accident grave ou menace. En cas de doute, le service 100, suite à l'appel d'un témoin, appelle le service d'incendie pour une mission de reconnaissance. En cas de menace, le service 100 appelle le service d'incendie qui prévient le bourgmestre ou son délégué. Il appelle aussi l'équipe technique pipeline qui fait éventuellement appel à d'autres équipes pipelines, la police, des renforts pompiers si nécessaire, et la colonne mobile de la protection civile qui prévient la direction provinciale. Le Chef provincial prévient le cas échéant le Gouverneur… Mais ça, c'était à l'époque où les direction provinciales existaient encore. C'était l'époque où l'autorité du Chef provincial (grade de Colonel) était incontestable. Il avait même un pouvoir de réquisition.

C'est à lui que nous devions nos plans de secours. Un coup de fil à Fluxis de sa part aurait peut être changé bien des choses à Ghislenghien !

Si le service 100 de Mons avait suivi les directives de ce plan de secours dont il n'a probablement jamais eu connaissance, il aurait directement appelé tout le monde et un périmètre d'exclusion aurait été immédiatement décrété, car le message du coordinateur de chantier était suffisamment clair et le témoin fiable : un ingénieur coordinateur de sécurité sur place ! Erreur de jugement ou ignorance ? Absence de gradé pour prendre une décision adéquate ?

Si le service 100 avait transmis à Fluxis l'emplacement de la fuite en utilisant les coordonnées UTM, comme il se devrait, au lieu d'une adresse nouvelle inconnue de Fluxis, il n'y aurait pas eu de confusion sur la présence de la conduite. Les coordonnées UTM sont une suite de lettres et de chiffres qui donnent un emplacement exact sur une carte, n'importe où, au mètre près si on veut. C'est un système universel connu de tous ceux qui font un tant soit peu de cartographie. C'est simple, efficace et ça fait gagner du temps.

En cas de doute, il y a reconnaissance, c'est normal. En cas de menace ou de reconnaissance positive, un périmètre de sécurité (un zonage réflexe) est immédiatement mis en place. C'est un périmètre d'exclusion, tout le monde doit évacuer, sauf les intervenants qui ne peuvent entrer dans la zone qu'en respectant les consignes de sécurité appropriées au risque. Le risque ici étant une explosion, uniquement du matériel anti-déflagration pouvait rentrer dans la zone. L'électricité devait être coupé depuis l'extérieur, ainsi que le gaz. Il est également évident qu'aucun véhicule ne pouvait circuler dans la zone, même et surtout pas celui des pompiers ou du technicien du gaz, des travailleurs qui auraient dû être sensibilisés à cela.

Dans le cas du zoning de Ghislenghien, en dehors de transmettre l'ordre d'évacuation aux travailleurs, les pompiers ne pouvaient rien faire à l'intérieur du zonage réflexe pour supprimer le risque, sauf d'éviter à tout prix toute source d'ignition. D'où est venue la toute petite étincelle qui a fait tout péter ?

D'après le manuel "Méthode d'intervention chimique" de l'Institut de formation des services de secours du Hainaut, chapitre 6, page 34, En cas de risque d'explosion, en Belgique, la zone d'exclusion est de 300 mètres. En France elle est de 500 mètres. Le manuel précise que les 200 mètres supplémentaires ne sont pas superflus et que "toutes les personnes étrangères à l'intervention doivent être évacuées".

Une deuxième zone, située à l'extérieur du périmètre d'exclusion, s'appelle zone de soutien, c'est là que la police, les secours médicaux, ainsi que les liaisons radio, assistance, commandement devaient se cantonner, pas sur la fuite.

Si ce manuel, ou un autre équivalent, avait été respecté…

Si le service 100 avait interprété l'appel de l'ingénieur, coordinateur de chantier, comme une menace et non comme un doute…

Si le service 100 avait transmis correctement et de manière professionnelle les coordonnées de la fuite à Fluxis…

Si les directions provinciales de la Protection Civile n'avaient pas, comme bien d'autres choses, été démantelées suite à la fin de la guerre froide …

Avec tous ces si, plus tous les autres, les conditions de l'explosion de Ghislenghien auraient pu ne pas être réunies. La catastrophe aurait pu être évitée avec son lot de morts et de souffrances atroces, si les lois et les règlements avaient été respectés à tous les niveaux.

Une réforme est nécessaire, à commencer par une meilleure formation de tous les intervenants, mais La première chose à changer, c'est la mentalité : Il faut acquérir le respect de la loi, des manuels et des consignes. C'est aussi une certaine culture de la sécurité à développer : la mort évitable d'un héros est inacceptable. Elle n'a d'héroïque que le nom qu'on lui donne pour mieux éluder la part de responsabilité de chacun.

Au temps de la guerre froide, on jouait à faire semblant, mais on y croyait : Si ça pétait de partout, on connaissait au moins les réflexes et les gestes qui sauvent. Mais la volonté politique n'y était déjà pas. Alors que la population suisse était équipée à plus de 95 % d'abris anti-atomiques, nous les équipes de la Protection Civile belge, nous n'en avions même pas. Nous faisions nos exercices dans des bonnes vieilles caves, mais nous savions comment les transformer en abris adéquat s'il le fallait ! Il suffisait d'y croire.

Quand j'étais toute jeune, je suivais les cours de base, maintenant supprimés. Notre instructeur nous a distribué la brochure "Vit qui veut" dont le but était d'expliquer à la population belge ce qu'il fallait faire en cas d'explosion atomique. Il nous a dit qu'il y en avait eu 300.000 d'imprimées, mais qu'elles n'avaient jamais été distribuées par crainte d'une réaction de panique.

A l'époque de Tchernobyl, j'étais donc instructeur NBC volontaire. Mais, malgré tout ce que j'avais appris, le premier mai de cette année là, j'ai profité du jour de congé pour ranger mon bois dehors, dans le jardin. J'ignorais que le nuage radioactif nous survolait. Le soir, aux informations, j'ai entendu que le ministre de l'agriculture ordonnait de rentrer les vaches. Je savais ce que cela voulait dire. Par contre, le ministre de la santé disait qu'il n'y avait aucun danger pour l'homme. Le mieux, quand même, dans ces cas-là, c'est de rester à l'intérieur. J'avais les clefs de l'abri, c'est à dire de la cave qui nous servait d'abri. J'avais envie d'y aller de ma propre initiative, de sortir les appareils et de prendre des mesures de la radioactivité. Mais qu'aurais-je fait des résultats ? J'ai choisi la politique de l'autruche. Le lendemain matin, quand je suis sortie pour aller travailler au laboratoire, toutes les vaches étaient dans les prairies. Pas un fermier n'avait suivit la directive ministérielle. Personne ne s'est d'ailleurs chargé de la faire appliquer. Aujourd'hui, j'ai une sœur et une nièce qui se soignent pour la thyroïde, alors qu'il n'y avait jamais eu de cas dans la famille.

Un peu plus tard, à l'occasion du cours suivant, j'ai organisé avec ma classe un exercice pratique qui bien entendu consistait à effectuer des mesures de radioactivité. Dans l'air nous n'avons rien mesuré d'anormal. Par contre, la radioactivité de l'eau de la Meuse avait augmenté. Nous l'entendions clairement à la cadence des clics, mais la concentration était (heureusement) trop faible pour que nous puissions la mesurer avec nos appareils prévus pour temps de guerre.

Quant à la crise de la dioxine de 1999, ce n'était pas la première, mais c'était la première fois qu'on en parlait. Dans mon manuel "Dangers Chimiques II", édition de 1980, page VII/38, le professeur de l'Ecole Royale de Protection Civile à Florival explique qu'en 1972, en France, une quarantaine de bébés sont morts suite à l'application d'un talc contenant trop de désinfectant contaminé par de la dioxine. Il avait également écrit : "Il faut signaler aussi la mort d'animaux mortellement intoxiqués par des aliments pour volailles contenant des résidus d'acides gras commerciaux contaminés par de la dioxine."

La masse des connaissances humaines est surprenante. L'ignorance des masses vis à vis de tout ce savoir est ahurissante. Pourtant, la connaissance de l'histoire empêche qu'elle ne se répète. Reconnaître les responsabilités, toutes les responsabilités y contribue !

Christine Longrée


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