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Ceux du Forbot

Les dix paroles du fond du passé, Dix Commandements pour une Vie paisible
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2. Le temps des cerises

Kamilia :

Mon père avait un intendant qui s'occupait des ouvriers et des comptes. C'était un homme grand qui se tenait très droit. Il était toujours vêtu de sombre et très sobrement. Il ne riait jamais, mais papa disait de lui qu'il était un homme honnête et loyal. Chaque semaine, il venait au rapport chez nous. Il disait que nous vivions trop largement et qu'il y avait trop de chevaux inutiles. Il voulait que mon père se sépare de certains d'entre eux. Il y avait des chevaux de calèche, des chevaux de selle. Une ou deux bêtes de selle pouvaient suffire. Il y en avait cinq ou six. Quatre chevaux pour les calèches, c'était assez ! Il y en avait huit ou dix. Mais papa les aimait bien ! C'était des lipizans. Quand ils couraient, ils avaient une belle allure, ces chevaux-là !

Notre intendant insistait également pour que mon père diminue le nombre de jardiniers. Ma mère adorait le jardin. Il devait être impeccable. Il y avait énormément de fleurs. Il y avait une serre immense divisée en trois salles. La première était réservée aux petites plantes, la deuxième contenait des ananas et d'autres plantes plus délicates. En hiver, c'était bien ! A Noël, nous mangions des ananas. C'était un délice dont nous réjouissions à l'avance. Dans la troisième salle, il y avait de grands palmiers, des cactus énormes que l'on appelait "agar". En été, on les mettait dehors et en hivers, on les rentrait dans la serre. Tout cela représentait une grande masse de travail. Somme toute, c'était du luxe, même si nous ne pouvions pas prétendre mener une vie luxueuse. Nous n'avions pas beaucoup d'argent. Nous ne voyagions pas. A l'époque, c'était normal. Maintenant, n'importe qui prend l'avion et va à l'autre bout du monde. Nous ne quittions pas le nid.

Nous vivions de ce que la terre rapportait. Plus tard, papa a été député. Il allait beaucoup à Budapest. Il aimait cette vie-là : Il jouait aux cartes avec d'autres copains députés, eux aussi. C'était une grande distraction pour lui de ne pas être tout le temps à la campagne. Papa était très patriote. Il était député du parti chrétien. Il avait le sentiment de lutter pour le bien. Il était fier, énergique et très correct : Papa ne supportait pas les salauds. Mon mari est un peu comme ça, mais il est plus calme. Papa n'était pas vraiment autoritaire, mais il débordait d'énergie. Pourtant, il souffrait beaucoup de sa blessure de guerre.

Il a aidé beaucoup de gens de son arrondissement, surtout parmi ceux qui n'avaient pas bien réussi. Il les a aidés à trouver un emploi, à s'en sortir malgré le contexte économique très difficile de l'entre deux guerres. La terre rapportait, mais pas beaucoup. Il fallait parfois savoir jouer d'astuces. Les prix étaient très bas et les charges lourdes. Avec la propriété que mon père louait en plus de la nôtre, l'exploitation était assez grande. Nous nous en sortions. Les petits n'ont pas résisté.

Papa avait beaucoup de soucis. Nous lui coûtions cher, nous les enfants. Nos parents ne nous gâtaient pas, mais ils voulaient que nous devenions cultivés. Ils nous ont mises, ma soeur et moi, au pensionnat à Budapest, à l'institut Notre Dame de Sion. C'était un Ordre français, une des meilleures écoles pour les jeunes filles de la noblesse ou issues de familles très riches. Notre éducation était une priorité pour mon père. Nous devions avoir notre cheval, faire du sport, nous avions des skis, des patins et tout ce qu'il fallait pour apprendre les activités mondaines. En été, mon père engageait des enseignantes étrangères pour nous faire travailler et perfectionner la pratique des langues. Une année, c'était une allemande ou une autrichienne, l'année suivante, une française, puis une anglaise. Nous n'avions pas de congé. Nous devions étudier à la maison. Nous étions un peu révoltées, surtout quand nous entendions nos amies raconter leurs voyages dans les Carpates ou ailleurs. Par contre, nous étions fières de connaître l'allemand, le français et l'anglais.

Les deux derniers étés, c'était une Anglaise, une vieille demoiselle d'environ soixante ans. Nous avons beaucoup ri avec elle. Elle adorait le climat hongrois. Oh ! Elle adorait ça ! Elle raffolait particulièrement des tomates de notre potager, mûries au soleil, en pleine terre. En Angleterre, il n'y en pas de pareilles !

Ma mère était sévère : tout l'été, nous devions étudier la matinée et aussi un peu l’après-midi. Le matin, en cachette, notre gouvernante nous envoyait au potager lui chercher des tomates bien mûres, bien chaudes. Il nous arrivait de nous attarder au potager et de la laisser seule à l'étude. Nous y sommes même restées une fois plusieurs heures. Mais nous sommes rentrées avec de bonnes tomates. Elle était très contente. Elle mangeait les tomates encore chaudes de soleil. Elle adorait cela. Pour finir, nous passions tous les avants midi dans le jardin en quête prolongée de tomates. Nous étions très contentes. Pendant ce temps là, nous ne devions pas étudier ! Pourtant, l'anglais de notre gouvernante nous pénétrait avec autant de douceur et de plaisir que la suave saveur des succulentes tomates.

A l'institut Notre Dame de Sion, j'ai suivi les humanités et après, encore un supplément de langues étrangères, mais pas seulement pour les parler et les écrire ! J'ai dû également étudier la littérature et l'histoire de leur berceau. L'étude de la littérature française et l'histoire de France m'ont laissé un mauvais souvenir. Il y avait tellement de matière que j'en étais découragée. Qu'est-ce que je m'en foutais des guerres, et des écrivains : Bossuet, Molière, c'était terrible ! L'histoire et la littérature allemande ne valaient guère mieux. Nous étions des jeunes filles instruites, mais à l'époque, ça nous embêtait énormément, tout autant ma soeur que moi-même. Nous avions notre cheval de selle, énormément d'animaux, mais à côté de cela, il fallait étudier. Nous avions du personnel à notre disposition, une cuisinière et une femme de chambre. Nous étions comme des petites reines, mais j'aurais préféré voyager, partir, voir un peu autre chose. Nous avons dû apprendre tout ça dans des livres au lieu de voyager.

Viktor :

Quant à moi, les chevaux et la chasse furent mes passions de jeunesse. Je suis né dans les chevaux. Je les ai toujours connus. J'ai reçu ma première instruction au milieu d'eux. J'avais en effet la chance d'avoir un professeur à la maison. Maintenant, ça me manque. J'aurais bien besoin d'un professeur pour m'instruire encore.

Devenu adolescent, je fus placé dans la plus sévère école de Hongrie. J'y ai terminé mes humanités. Je ne m'y plaisais pas tellement, mais je n'avais pas le choix : Il fallait apprendre ! Ensuite, j'ai commencé des études d'agronomie à l'université. Mais mon père étant souffrant, j'ai dû les interrompre pour le remplacer à la tête de l'exploitation familiale. Heureusement, nous avions un très bon intendant pour nous aider à gérer cette propriété de plus de sept cents hectares. Avec lui, nous avons continué l'exploitation agricole. Je n'avais plus le temps de suivre les cours à l'université, mais je recevais les livres et les syllabus à la maison. Je faisais mon possible pour y apprendre les notions d'agronomie nécessaires à la bonne gestion de notre terre. Avec l'aide de l'intendant, ce n'était pas trop difficile. C'est devenu compliqué, comme partout, quand les Soviétiques ont pris les choses en main. Merci Staline ! Jusque là tout allait bien.

Au gré des réussites ou des échecs, nous avions généralement entre soixante et quatre-vingts vaches à traire. Tout se faisait à la main. Chaque ouvrier trayait dix vaches. Ce n'est pas rien de traire dix vaches à la main ! Ils ne faisaient que ça : traire les vaches deux fois par jour et les soigner. Ils étaient bien payés. Ils ne rouspétaient jamais, car ils étaient contents. Ils étaient moins contents quand les Soviétiques sont arrivés.

Nous avions six paires de chevaux de trait. Il y avait un étalon, six ou sept juments pur-sang et les poulains. Les moins bons, nous les vendions. Nous avons ainsi obtenu de très bons chevaux de course. Personnellement, je n'ai pas couru sur les chevaux. J'étais bien trop paresseux ! Nous étions affiliés à une écurie spécialisée. Là, nous choisissions l'entraîneur et le jockey qui convenait le mieux au cheval. En 1941, nous avons gagné le Derby. Nous étions très fiers. Financièrement, c'était aussi très intéressant. Le premier prix nous a rapporté 13.000 pengo, notre argent de l'époque. Je ne peux pas dire combien cela valait par rapport à l'argent actuel. J'estime qu'avec cette somme, nous aurions pu acheter une maison bien plus grosse que celle-ci, mais tout de même plus petite que le château d'à côté. C'était un bon prix !

Nous avons également élevé des cochons. Mais pour finir, contre notre volonté, nous n'avions plus que des cochons russes ! Les Soviétiques sont tous des cochons. Voraces, ils nous ont tout pris.

A l'époque de mon grand-père, notre cheptel chevalin n'était pas très important. Nos deux cents hectares de prairies donnaient un excellent fourrage en grande quantité, en trop grande quantité pour notre seul usage. La qualité de ce foin était très recherchée par les haras. Nous vendions notre surplus en France. Régulièrement, nous recevions des diplômes attestant de la qualité exceptionnelle de notre fourrage. Il y avait à peu près deux cents hectares de prairies que nous fauchions à la main avec l'aide de saisonniers.

Nous cultivions trente-deux hectares de vignes desquelles nous tirions un très bon vin blanc et très peu de rouge que nous appelions "bordeaux".

J'ai beaucoup chassé, pas seulement chez moi : J'étais invité dans toute la région. La chasse était ouverte à partir du mois de septembre, jusqu'en novembre, décembre.

Kamilia :

Mon père chassait tout l'été, à la plus grande chaleur. Au printemps, il y avait les bécasses. Au mois de mai, c'était les brocards, au perch. On chassait toute l'année, au fond.

Viktor :

Tu te trompes ! Parce que les perdrix n'étaient pas ouvertes en été. On pouvait les tirer seulement à partir du premier septembre et les brocards, au premier mai. On tirait les bécasses à partir de mars, mais ce sont des oiseaux de passage. La chasse durait deux ou trois semaines, en fonction du temps. Elles passaient, puis c'était fini, mais elles repassaient en automne. En chassant les perdrix, on trouvait toujours quelques bécasses.

Il y avait trop de gibier. Mon frère eut une idée ! Nous habitions près du Danube, une très belle région, très prisée. Il y avait donc beaucoup de secondes résidences dans les environs. L'une d'elle appartenait à un fabriquant de chocolats. Il était friand de perdreaux. Mon frère adorait le chocolat. Il a donc proposé au fabricant d'échanger des perdreaux contre du chocolat, toutes les sortes de chocolat. Ces négociations se passèrent, bien entendu, à mon insu. Un jour, en rentrant, je vis les traces d'un véhicule. J'ai tout de suite pensé à un invité. Quand je suis entré chez nous, je vis d'énormes paquets ! Tout un camion de chocolats de toutes les sortes. Du marché, je ne connaissais rien ! Tout ça s'était fait derrière mon dos. Je me suis étonné de tout ce chocolat. Mon frère était là, très content.

J'ai tout de suite compris que tout ce chocolat valait beaucoup perdreaux. Il nous fallait honorer le contrat avec honnêteté. Au vu de la quantité de chocolat, mes frères et moi, nous sommes sentis débordés. Nous avons donc invité nos amis des alentours à la chasse intensive aux perdreaux. Cette année-là, le chocolatier fut comblé. Avec le surplus, Il a fait fabriquer des conserves en très grande quantité.

Malgré la profusion de gibier, nous élevions aussi des cochons pour l'engraissement. Le cochon, c'est tellement bon ! Nous avions une dizaine de truies. Ce n'était pas grand chose, mais suffisant pour notre consommation et celle du personnel. Nous engraissions dix cochons par an, rien que pour la maison. Il y avait un valet, deux filles de chambre, une cuisinière, une jeune fille qui aidait la cuisinière et les autres qui bouffaient. Nous aimions bien le cochon. Il était engraissé avec une pâtée de maïs moulu mélangé à l'eau.

Nous cultivions aussi des hectares de melons, des hectares et des hectares, et des tomates, des poivrons aussi. Les déchets allaient pour les cochons. Ils adoraient les melons.

Un jardinier était employé à plein temps. Pendant la saison estivale, nous engagions une famille rien que pour cultiver les paprikas et les melons. Tous les jours, un chariot allait en bordure du Danube où il y avait beaucoup d'habitants. Nous avions en quelque sorte notre propre marché là-bas. Il faisait chaud, les melons, en l'absence de frigo, c'est rafraîchissant. Tout le monde en achetait.

Les légumes rapportaient bien et les chevaux aussi. Mais jamais, jamais, l'argent n'était inutile. Il était continuellement en mouvement, tellement cette exploitation coûtait cher. Elle rapportait, mais elle coûtait énormément. Pourtant, nous ne gaspillions rien. Le pain, c'était notre pain. Il était pétri avec la farine de notre froment, moulu dans notre moulin.

Le moulin rapportait bien. Le meunier travaillait pour tous les villages aux alentours.

Pour le vin, nous avions une cave d'environ quatre-vingts mètres de long. Les tonneaux avaient une capacité totale de deux-cents hectolitres. Le vin vieillissait et puis nous le consommions. Nous n'en vendions pas beaucoup. A chacune des fêtes, les ouvriers recevaient du vin, ainsi qu'à l'occasion de travaux spéciaux, comme, par exemple la fabrication de la glace. C'était un travail très dur et le froid était vif. Le vin réchauffait les vaillants travailleurs.

Au plus froid de l'hiver, une équipe s'attelait à "faire la glace" pour toute l'année. Un ruisseau traversait la propriété. Nous placions un barrage pour inonder la prairie sur une superficie de plusieurs hectares. Nous laissions geler tout cela, puis le travail commençait. Il fallait découper à la hache, des blocs de glace épais d'une trentaine de centimètres. Ensuite, les ouvriers les apportaient dans la grande glacière, une "cave" isolée avec des roseaux. On la bourrait de glace et l'année suivante, il y avait encore de la glace dedans. C'était un travail dur. Il fallait frapper fort pour casser la glace. En été, tous les jours, la jeune fille de la cuisine allait chercher un seau de glace que l'on mettait dans la petite glacière. Ce n'était pas un réfrigérateur électrique, comme ceux d'aujourd'hui : Tous les jours, il fallait vider l'eau et remettre de la glace, mais c'était efficace.

Kamilia :

En plus de leur salaire, les travailleurs avaient à leur disposition une maison. Ils élevaient leurs propres volailles et engraissaient des cochons pour eux. Les oies leur étaient très précieuses. Il y a énormément d'oies en Hongrie. Elles sont appréciées non seulement pour la chair, mais pour la graisse et le foie gras. Tout le monde mangeait du foie gras. C'était bon marché. En plus, les plumes d'oies nous fournissaient à bon prix des édredons moelleux, doux et bien chauds.

Les ouvriers disposaient également d'un hectare de terre labourée, hersée et parfois semée de maïs par la propriété. La récolte leur appartenait, en plus des céréales qu'ils recevaient pour leur pain.

Viktor :

Tous les trois mois, ils recevaient 15 hectolitres de céréales, plus du bois de chauffage et un litre de lait par enfant par jour.

Kamilia :

Chez nous, c'était un litre pour la famille, plus un demi-litre pour chaque enfant.

Viktor :

C'était effectivement un litre pour la famille, plus un demi-litre supplémentaire par enfant. Ils ne recevaient pas de beurre, nous n'en fabriquions pas.

Kamilia :

Chez nous, nous en battions en petites quantités dans la cuisine. Par contre nous fabriquions du fromage, surtout du fromage de mouton. Nous avions énormément de moutons. Au printemps, les brebis donnaient beaucoup de lait dont nous faisions cet excellent fromage, le kashkaval. On faisait cailler le lait qu'on égouttait et pressait. On le tassait ensuite dans un tonneau en bois que l'on fermait pour un assez long affinage. Nous le mangions sur du pain. C'était délicieux !

Au printemps, les moutons nous donnaient beaucoup de travail : En plus de la fabrication du fromage, il fallait les tondre. Mon père vendait la laine. Il faisait venir des tondeurs spécialisés. A l'époque, ils travaillaient aux ciseaux. Il n'y avait pas de tondeuse.

Viktor :

Nous n'avions qu'une quarantaine de moutons. Nous n'en faisions pas un commerce lucratif. Ils servaient surtout à notre propre consommation. Personnellement, je n'étais pas amateur de fromage, mais j'avais d'autres passions : le cheval et la chasse.

Tous les jours, jusqu'au communisme, je montais à cheval, mais les communistes ont pris mes chevaux et détruit mes écuries. Avant, tous les jours, je parcourrais nos forêts sur ma fière monture, sauf en hiver. Mes parents avaient un appartement à Budapest. Pendant les périodes d'école, j'habitais cet appartement qui n'était qu'à dix minutes de l'école. Je détestais habiter en ville, mais il fallait bien. J'aurais préféré rester à la campagne toute l'année. Hélas, pour mon bien, paraît-il, je n'avais pas le choix. Un professeur habitait même avec nous. Il aidait mes frères dans leurs études. Plus tard, il m'a aidé, moi aussi. Mon père lui avait fourni cette occupation, car ce jeune homme adorait les chevaux. Quand nous avons tous eu terminé nos études, mon père lui a trouvé un poste de secrétaire à la société des courses. Il gagnait très bien sa vie. J'ai gardé le contact avec lui jusqu'à sa mort, l'automne dernier.

Quand le communisme est arrivé, il a tout de suite été congédié, car les autorités savaient que c'était mon père qui l'avait placé. Heureusement, nous avons trouvé un type bien rouge de l'extérieur, mais pas de l'intérieur. Il a fait pression. Le secrétaire a été réintégré.

A la belle époque, avant l'ère communiste, nous cultivions également quelques fruits, surtout du raisin et du melon par champs entiers. Chaque année, nous cultivions dix hectares de melons. Le matin, un chariot bien chargé, passait dans les maisons le long du Danube. Les gens en achetaient volontiers car il faisait chaud et le melon est très rafraîchissant. Tout le monde en achetait.

Nous semions également bonne quantité de céréales : pour la maison, d'abord, car nous étions plus de dix ; pour le personnel aussi, car une partie du salaire était payé en nature : Chaque ouvrier recevait quinze hectolitres par trimestre. Il en mangeait avec sa famille, il en vendait et élevait des animaux, selon son choix. Les ouvriers ne manquaient de rien. Chaque ouvrier avait un hectare de terre, labourée et semée. Ils voulaient toujours du maïs pour engraisser leurs cochons. Ils vendaient le surplus. Le maïs a un bon rendement et il se vendait cher.

Nous aimions nos ouvriers et je crois que je peux dire qu'ils nous aimaient. Avec la terre, ils étaient notre vie.

Kamilia :

Il y avait beaucoup de gentillesse chez les ouvriers. Je me souviens de l'époque des moissons, quand on fauchait à la main. Tout le monde participait au travail : hommes et femmes ensemble. L'ambiance était gaie, pleine de rires et de plaisanteries. Le matin, avant de partir aux champs, ils cueillaient des fleurs et composaient de beaux bouquets qu'ils ornaient du ruban national. Ils partaient ainsi fleuris, sans oublier un vase rempli d'eau. Quand nous leur rendions visite, chaque fois, une fille accourait vers nous et déposait les bouquets dans nos bras. Ils se sentaient honorés par notre visite. Ils étaient fiers de leur travail. Ils étaient flattés de l'intérêt de leurs patrons. C'était très émouvant. Chaque jour, ils apportaient des fleurs pour nous. Si nous n'y allions pas, le lendemain, ils jetaient les fleurs flétries et les remplaçaient par un bouquet tout frais. Mon père s'efforçait de leur rendre visite chaque fois qu'il le pouvait. Il n'aimait pas les laisser rentrer le soir avec leurs bouquets flétris.

Viktor :

A la fin des moissons, nous leur donnions une tourie de vin. Ils faisaient la fête jusqu'au lendemain compris.

Kamilia :

Papa engageait un orchestre tzigane, on tuait des moutons, des cochons. Les cuisinières préparaient des goulaches. Le vin coulait à flots. Les ouvriers s'amusaient comme des fous. Il y avait du monde : tout le personnel de l'exploitation, plus tous les saisonniers que nous engagions pour les moissons.

Le soir, nous étions invités, mes parents et toute la famille. Nos ouvriers nous conviaient à leur fête. Nous devions danser. Ma soeur et moi étions assez gênées, car nous ne savions pas encore danser la csardas, une danse très populaire chez nous. Les jeunes gens là-bas savent bien danser. Ce sont eux, nos ouvriers, qui nous ont appris cette csardas de chez nous. Ils étaient très flattés.


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